PREMIERE PARTIE : LES BASES DE LA DRAMATISATION
CHAPITRE II : LE CONFLIT EMOTIONNEL (dixième article)
Dans tous les articles qui ont précédé au cours du chapitre, je me suis échiné à décrire le conflit émotionnel, ce que c’est, et ce qu’il permet ; comment il se concrétise dans la réalité et dans le récit. J’ai longuement décrit l’obstacle, qui en est la manifestation concrète et tangible dans le récit, ainsi que le risque narratif qui permet d’en accentuer grandement l’intensité. Et j’ai aussi expliqué comment en utilisant bien ces deux outils-là et en offrant au public la perspective d’un conflit émotionnel plus grand encore, on peut ainsi contrôler complètement l’espace émotionnel du public en créant en lui un désir viscéral qu’on lui raconte certaines scènes.
Et globalement, tout ce que j’ai décris peut se résumer de la manière suivante.
Il existe un espace, une distance, entre notre désir d’atteindre un objectif et le fait que nous ne l’avons pas encore atteint, et donc une distance entre notre espoir d’atteindre un objectif et les chances que nous avons d’échouer à l’atteindre. Et cette distance est ce que l’on appelle le conflit émotionnel. C’est au sein de cet espace-là que les émotions peuvent être créées.
Dans la réalité, cet espace se définit en fonction de ce nous anticipons : le plaisir que nous aurons à atteindre l’objectif, les efforts à fournir pour l’atteindre, les événements intempestifs qui pourraient survenir et nous éloigner de l’objectif, ainsi que les solutions pour remédier à ces problèmes-là. Pour concrétiser cela dans un récit, ce que l’on fait en tant qu’auteur, c’est que l’on fait anticiper au public des obstacles.
Pour atteindre tel objectif, le personnage devra franchir tel obstacle. Pour nous assurer que le public ait envie que le personnage franchisse l’obstacle, on fait en sorte qu’il s’agisse d’un impératif d’action, c’est-à-dire qu’il soit une véritable gène pour atteindre l’objectif, qu’il soit incontournable et pourtant franchissable a priori. On peut ajouter des risques incitatifs, c’est-à-dire des choses que le personnage peut gagner en plus, s’il tente de franchir l’obstacle ou s’il parvient à le franchir, ou des choses qu’il peut perdre en cas d’inaction.
Mais on peut aussi montrer que son désir d’atteindre l’objectif est plus fort en augmentant la valeur de l’obstacle, c’est-à-dire en créant un obstacle plus difficile à franchir, ou en rajoutant des risques dissuasifs, c’est-à-dire des choses que le personnage risque de perdre en tentant de franchir ou en franchissant l’obstacle : si malgré tout cela, le personnage choisit quand même de franchir l’obstacle, le public comprendra que cet objectif là est le plus important pour lui et voudra qu’il réussisse à l’atteindre à tout prix.
Augmenter la valeur de l’obstacle et ajouter des risques – quels qu’ils soient – a aussi pour effet immédiat d’augmenter l’intensité du conflit émotionnel et donc la puissance des émotions qui peuvent apparaître en son sein.
Et donc, en ayant dit tout ça, j’ai effectivement expliqué comment créer un conflit émotionnel dans un récit, et j’ai expliqué comment rendre ce conflit émotionnel particulièrement intense et comment s’assurer que le public ait envie de voir ce conflit émotionnel se résoudre d’une manière ou d’une autre. En d’autres termes, j’ai expliqué comment créer l’espace le plus propice possible à la création d’émotions chez le public.
Mais encore une fois, je n’ai pas répondu à la question primordiale que tout auteur doit se poser, celle que j’ai posée au début du premier chapitre et que j’ai reposée au début du second : comment provoque-t-on une émotion concrètement ?
Bien sûr, j’en ai déjà parlé rapidement dans le troisième article de ce chapitre. Souvenez-vous de l’histoire du coureur et de ses obstacles : ce qui provoque des émotions chez le public, c’est tout ce qui va changer la nature ou l’intensité d’un conflit émotionnel. Or, si le conflit émotionnel n’est que de l’anticipation, ce qui en change la nature ou l’intensité, c’est tout simplement tout ce que nous n’anticipons pas. Et dans un récit, ce qui n’est pas anticipé, c’est le « twist », le rebondissement, le retournement de situation. Et la question est donc : qu’est-ce qu’un twist concrètement ?
Beaucoup d’auteurs, de professeurs et de théoriciens s’échinent à décrire différents types de twists. Certains disent qu’il y a le simple rebondissement, qu’il y a le retournement de situation, ou encore le « coup de théâtre », la révélation ou le « plot twist » etc. Et ils s’empressent alors de donner des explications aux limites douteuses, voire hasardeuses. La réalité est infiniment plus simple que cela.
Un twist, c’est tout simplement un événement – et je vais insister un peu sur ce terme – qui change la nature ou l’intensité d’un conflit émotionnel. Et à partir de cette définition, nous allons voir qu’il existe toutes sortes de twists différents, effectivement, mais qu’ils n’ont rien à voir avec les définitions que vous avez peut-être pu entendre ici ou là.
Tout d’abord, donc, arrêtons-nous un instant sur le fait qu’un twist est un événement, et plus encore, un événement du récit, de l’histoire. Cette notion est éminemment importante puisque, je vous le rappelle, une histoire se définit à la base comme une suite d’événements liés entre eux par un concept, une idée donnée. Chaque twist est donc avant tout l’un des événements de cette suite d’événements. La réalité est qu’un twist n’existe fondamentalement que parce qu’il s’inscrit dans cette suite d’événements, qu’il la perturbe d’une manière ou d’une autre.
L’obstacle et le risque, eux, ne sont pas des événements du récit, ce sont des éléments du récit. Ils permettent d’en définir les contours, de préciser le contexte, les enjeux. Mais si le personnage doit sauter au dessus d’un précipice pour atteindre son objectif, le précipice en lui-même n’est pas un événement. Ce qui est un événement, c’est le fait de sauter. De la même manière, le risque de perdre la vie en sautant n’est pas un événement. C’est le fait de perdre la vie ou de ne pas la perdre qui est un événement.
L’événement qui va constituer le récit, c’est donc le franchissement de l’obstacle, et non l’obstacle en lui-même. L’événement qui va constituer le récit, c’est le moment où le personnage perd ou gagne quelque chose, ou le moment où il manque de le faire, et non le risque en lui-même.
De la même manière, on peut imaginer tous les éléments du récits que le public n’aura pas anticipé : comme par exemple le fait que le précipice soit en réalité un leurre, ou qu’il ne soit pas profond du tout, ou qu’il y ait une liane qui apparaisse comme par magie au milieu du chemin et qui aide le protagoniste à franchir le précipice. Tous ces éléments-là sont bien des imprévus, des choses qui ne sont pas anticipées, oui. Mais ce ne sont pas des twists.
Le twist, c’est l’apparition d’un de ces éléments, le moment où celui-ci survient dans le récit et en vient donc à influer sur la nature ou l’intensité du conflit émotionnel.
Et donc, pour commencer, retenez que le twist, c’est-à-dire ce qui va provoquer des émotions chez votre public, n’est pas un élément du récit ou un état de fait, c’est avant tout un événement du récit. Cela implique que, pour qu’il fonctionne, pour qu’il crée une émotion, il est nécessaire d’agencer judicieusement la suite d’événements qui le précède.
Ensuite, le twist est un événement qui modifie la nature ou l’intensité d’un conflit émotionnel : qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?
Et bien, pour commencer, avant de chercher à savoir ce qui modifie la nature ou l’intensité d’un conflit émotionnel, rappelons ce qu’est concrètement le conflit émotionnel. Le conflit émotionnel, c’est ce que nous anticipons par rapport à un objectif : le plaisir que nous aurons à l’atteindre (ce qui se traduit par la place que prend cet objectif dans la hiérarchie des objectifs fondamentaux du personnage auquel nous nous identifions), les efforts à fournir pour l’atteindre (dans le récit les obstacles et les actions nécessaires à leur franchissement), ce qui pourrait mal se passer et comment nous pourrions y remédier (là encore, d’autres obstacles, hypothétiques cette fois, et d’autres actions nécessaires pour les franchir, mais aussi tous les risques narratifs impliqués dans le franchissement de l’obstacle).
Voilà donc tout ce que nous anticipons : la hiérarchie des objectifs fondamentaux du personnage, les obstacles, les actions nécessaires pour les franchir, et les risques narratifs. C’est cela qui, dans le récit, constitue le conflit émotionnel, qui en définit la nature et l’intensité.
Il ne reste donc plus qu’une seule véritable question à poser pour comprendre fondamentalement ce qu’est le twist : qu’est-ce qui, fondamentalement, peut changer la nature ou l’intensité d’un conflit émotionnel ?
En ce qui concerne l’intensité du conflit émotionnel, j’ai évidemment déjà répondu dans mes articles précédents. De fait, les éléments qui ont la capacité de modifier l’intensité du conflit émotionnel, je les ai déjà listés en décrivant les différents outils qui vous permettent de le construire dans le récit.
Tout d’abord, la naissance du conflit émotionnel, le moment où celui-ci émerge dans le récit, change tout naturellement l’intensité du conflit émotionnel en lui-même. La distance entre les espoirs de réussite et les chances d’échouer n’existait pas avant cet événement, elle était égale à zéro, et avec l’arrivée du conflit, une valeur lui a été donnée : il y a donc bien eu modification.
De la même manière, la résolution d’un conflit émotionnel, et donc la disparition de ce conflit, change aussi l’intensité de celui-ci : là où il existait une distance, celle-ci disparaît, devient nulle.
Ensuite, chaque obstacle, puisqu’il représente une série d’efforts à fournir pour atteindre l’objectif, modifie là aussi l’intensité du conflit émotionnel, notamment en fonction de sa valeur : si la valeur de l’obstacle change, il y a effectivement une modification de l’intensité, dans un sens ou dans l’autre puisque les chances d’échouer augmentent ou diminuent.
De la même manière, j’en ai longuement parlé, les risques narratifs modifient aussi l’intensité d’un conflit émotionnel. En ajoutant des objectifs fondamentaux autour du franchissement d’un obstacle, ils augmentent les chances d’échouer ou l’espoir de réussite naturellement.
Et voilà donc l’ensemble des éléments du récit qui peuvent effectivement déterminer, par leur présence ou leur absence, l’intensité du conflit émotionnel.
Cependant, comme je l’ai dit et répété maintes fois tout au long du chapitre, toutes ces choses-là sont théoriquement anticipées par le public lorsque le conflit émotionnel apparaît dans le récit. Dès que celui-ci naît, nous anticipons les obstacles, leur valeur, les risques et même les résolutions éventuelles possibles, et puisque nous les avons anticipés, ces éléments font donc partie intégrante du conflit émotionnel que nous ressentons déjà et ne peuvent donc pas en modifier l’intensité, puisqu’ils la définissent déjà.
C’est pour cette raison qu’un twist est avant tout un événement qui n’a pas été anticipé ou qui n’a pas été correctement anticipé. Par exemple, vous aviez anticipé que le personnage devrait franchir tel obstacle pour atteindre son objectif, et vous aviez imaginé que celui-ci représenterait tant d’efforts à fournir pour être franchi, mais finalement, il s’avère que les efforts à fournir sont bien plus importants, ou bien plus faciles que prévus : c’est un twist car cette révélation change la valeur de l’obstacle qui était anticipée. L’intensité que vous aviez anticipée était fausse, en réévaluant la véritable valeur de celle-ci, vous ressentez une émotion. C’est aussi simple que cela.
Et donc, globalement, les twists qui changent l’intensité d’un conflit émotionnel, c’est l’apparition d’un conflit émotionnel que l’on avait pas anticipé, l’apparition d’un obstacle que l’on avait pas anticipé, l’apparition d’un risque que l’on avait pas anticipé, l’apparition d’une valeur d’obstacle que l’on avait pas anticipé. Mais c’est aussi, à l’inverse, la disparition d’un conflit émotionnel qui avait été anticipé, la disparition d’un obstacle qui avait été anticipé ou la disparition d’un risque qui avait été anticipé. Tous ces événements-là, parce qu’ils modifie directement l’intensité du conflit émotionnel que nous avions anticipés, modifient donc son intensité et provoquent des émotions.
En effet, la révélation qu’il n’y a finalement pas de conflit, pas d’obstacle ou pas de risque, aussi étrange que cela puisse paraître, provoque effectivement des émotions, souvent très positives. Ne vous est-il jamais arrivé d’avoir la sensation que vous alliez devoir vous battre pour obtenir quelque chose et que finalement, arrivé au moment tant redouté, cette chose vous est donnée sans que vous ayez rien à faire.
Imaginez par exemple un personnage qui doit annoncer à sa famille qu’il est homosexuel. Malheureusement, dans le contexte actuel, il y a beaucoup de raisons pour ce personnage d’appréhender leur réaction et ainsi, en anticipation, il va préparer tout un discours, tout un tas d’argument pour tenter de les convaincre que c’est quelque chose de bien pour lui et qu’ils devraient le soutenir. Il s’apprête à recevoir un torrent d’insultes, de rejet, d’incompréhension.
Et puis arrive le moment où il l’annonce à la famille. Et là, tout ce qu’on lui répond c’est : « Bah, on le savait déjà en fait et on trouve ça cool. » Immédiatement, vous comprenez le soulagement que ça peut être pour lui et en tant que public, vous pouvez même être touché par leur réaction si positive, ou rire un peu face au décalage entre ce qui avait été anticipé et la réalité des faits. Mais quoi qu’il en soit, a priori, même cette absence de confrontation, de risque et d’obstacle, vous touche.
Encore une fois, le conflit émotionnel est ce que nous anticipons et non pas ce qui existe réellement. Et c’est justement là tout ce qui fait que le twist existe : il y a une large différence entre ce que nous avons tendance à anticiper et ce qui se passe réellement. Voilà pourquoi nous vivons au jour le jour tant d’émotions.
Un autre élément qui tend à modifier l’intensité du conflit émotionnel, c’est évidemment la place que prend l’objectif en lui-même dans la hiérarchie des objectifs fondamentaux du personnage. Plus cette place est haute, je le rappelle, plus cela augmentera notre envie de voir le personnage atteindre l’objectif et donc cela aussi, influe sur l’intensité du conflit émotionnel : cela change l’espoir de réussite et donc modifie immédiatement la distance qu’est le conflit émotionnel.
Ainsi, si nous anticipons qu’un personnage veut atteindre un objectif jusqu’à un certain point, tous les événements qui viendront changer cette place dans la hiérarchie des objectifs fondamentaux du personnage à nos yeux provoqueront effectivement des émotions.
Si par exemple, je montre un héros qui tout au long de l’histoire ne poursuit jamais que son propre profit, souvent au détriment des autres, mais qu’à la fin, il est prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle de ses compagnons : en changeant la perception que l’on a du personnage et de ses objectif, je vais effectivement créer des émotions. En effet, le public aura anticipé que le personnage réagirait plutôt de manière intéressée et égoïste dans plusieurs situations, mais en le faisant réagir différemment sur une situation précise, je crée effectivement la surprise et donc de l’émotion.
Pour ce qui est de modifier la nature d’un conflit émotionnel, la question est sensiblement différente puisque je n’ai jamais vraiment décrit ce qu’était la nature du conflit émotionnel. Mais en réalité, c’est aussi très simple à comprendre.
Un conflit émotionnel, je l’ai dit à de maintes reprises, se définit en fonction d’un objectif. C’est par rapport à un objectif donné que nous désirons atteindre qu’existe cette distance entre nos espoirs de réussir à l’atteindre et les chances que nous avons d’échouer à l’atteindre. La nature du conflit émotionnel, ce qui en fait l’essence, c’est donc tout bêtement l’objectif en lui-même.
Et donc, un événement qui modifie la nature de l’objectif, c’est un événement qui modifie l’objectif du personnage, tout simplement. Le personnage poursuivait un objectif, mais pour une raison ou pour une autre, quelque chose le fait changer d’avis et il décide de suivre un autre objectif. Par exemple, si le personnage essayait désespérément de faire carrière tout au long de l’histoire et que, finalement, il décide de tout abandonner pour poursuivre l’amour suite à une révélation ou autre, c’est un événement qui va changer la nature du conflit.
La nature du conflit émotionnel peut être changée de plusieurs façons différentes.
Dans un premier temps, l’objectif fondamental peut rester inchangé, mais l’objectif concret pour atteindre cet objectif fondamental, lui, va changer. Par exemple, si on imagine un personnage en quête d’amour, qui se rend compte au milieu de l’histoire qu’il tentait de séduire la mauvaise personne : cela change radicalement la nature du conflit. D’un seul coup, pour séduire cette autre personne, il faut franchir d’autres obstacles, très différents, risquer d’autres choses etc, etc. Mais l’objectif fondamental, lui, reste le même : trouver l’amour.
Ensuite, à l’inverse, l’objectif concret peut rester inchangé, mais l’objectif fondamental, lui, va changer. Par exemple, vous montrez un personnage de policier qui poursuit un criminel pour rendre justice, tout simplement. Au milieu du récit, le criminel débarque chez le policier et tue son fils. D’un seul coup, le policier ne cherche plus à rendre justice, mais à se venger. L’objectif concret est resté le même (attraper le criminel), mais les motivations du personnages sont différentes et donc, a priori, ses réactions et ses enjeux ne sont plus les mêmes.
Enfin, il existe une troisième possibilité : dans un récit où il existe plusieurs conflits émotionnels pour le personnage (ce qui est généralement le cas), le personnage va toujours plus ou moins donner la priorité à la poursuite d’un objectif en particulier (même s’il essaie de tous les atteindre en même temps). Ce qui fait que, lorsqu’un choix s’imposera à lui, il choisira toujours l’objectif qu’il désire le plus atteindre. C’est, encore une fois, le principe même de la hiérarchie des objectifs fondamentaux. Mais un twist peut aussi remettre en cause cette hiérarchie, non pas pour le public, mais pour le personnage lui-même, le forcer à réévaluer l’importance de certains objectifs par rapport à d’autre.
C’est exactement ce qu’il se passe avec mon exemple précédent où finalement, le héros décide de poursuivre l’amour plutôt que sa carrière. Cela change la nature même du conflit émotionnel car, à partir de cet instant, dès que le héros aura à faire un choix entre deux objectifs fondamentaux, il ne fera plus le même choix qu’avant.
Et là, encore, changer la nature du conflit émotionnel provoquera une émotion.
Et donc, maintenant que, grâce à mes précédents articles, vous savez exactement comment guider l’anticipation du public, vous pouvez ainsi créer des événements non anticipés en faisant apparaître ou disparaître des obstacles, des risques, des conflits émotionnels ou en montrant que l’objectif est finalement plus important ou moins important aux yeux du personnage que vous ne l’aviez laissé entendre. Vous pouvez aussi changer la nature même des conflits émotionnels en changeant l’objectif concret, l’objectif fondamental, ou en forçant le personnage à réévaluer la place de l’objectif dans sa propre hiérarchie d’objectif fondamentaux.
Mais allons plus loin, un twist est effectivement un événement qui fait au moins l’une de ces choses. Cela-dit, la bonne nouvelle est qu’il n’y a aucune règle indiquant qu’un twist ne doit faire que l’une de ses choses à la fois, bien au contraire. En réalité, la plupart des twists ont plutôt tendance à changer tout un tas de choses à la fois.
Reprenons l’exemple de la personne qui doit annoncer à sa famille qu’elle est homosexuelle. Lorsque sa famille réagit en disant qu’elle trouve ça chouette et que ça ne la surprend pas du tout, ce n’est pas seulement l’obstacle qui disparaît d’un coup, c’est aussi tous les risques qui y étaient rattachés et même le conflit émotionnel du personnage qui est résolu du même coup : il voulait être accepté tel qu’il est vraiment par sa famille, c’est chose faite.
La plupart des twists qui marquent réellement le public sont justement ceux qui arrivent à complètement renverser toute l’anticipation du public, à tel point que celui-ci est obligé de tout réévaluer. Un tel changement, surtout s’il est soudain, va alors d’un seul coup provoquer un immense bouleversement émotionnel chez le public.
Pour prendre un exemple bien connu, la fameuse révélation finale du Sixième Sens est telle qu’elle remet en cause absolument toute la perception des conflits émotionnels du récit que nous avions jusqu’à présent. Et c’est cela qui la rend si étonnante et impactante : toute ce que nous avions anticipé doit être réévalué d’un coup.
Mais il n’est pas nécessaire de placer ce genre de twist à la fin du récit, cela peut tout à fait arriver au milieu de celui-ci. Dans le roman Kushiel : Tome 1 – La Marque de Jacqueline Carey, toute la première partie du livre est consacrée à des intrigues de cour dans la capitale, à certains mystères qui entourent le personnage du mentor. Et puis, d’un seul coup, suite à un twist, l’héroïne se retrouve seule, tous ses proches sont tués ou presque, et elle est vendue comme esclave à l’autre bout du monde. Un changement qui, là encore, nous force à réévaluer tout ce que nous avions anticipé dans le récit et qui amène à tout un tas de nouvelles aventures – contrairement au twist de fin du Sixième Sens qui se contente de « réécrire » notre perception de l’histoire qui vient de s’achever.
Et donc oui, je vous conseille bien entendu, surtout si vous voulez que vos twists soient marquants et étonnants, de ne pas hésiter à créer des twists qui modifie beaucoup de choses à la fois et non pas seulement un élément du conflit émotionnel parmi d’autres. Plus la modification sera grande, plus l’impact émotionnel du twist le sera aussi.
Attention cependant, il est encore une fois primordial de rappeler ici que nous ne parlons pas du conflit émotionnel que vit le personnage, mais bien du conflit émotionnel que vit le public. C’est-à-dire que pour fonctionner, pour créer une émotion, le twist n’est pas un événement que le personnage n’avait pas anticipé ou qui contrecarre l’anticipation du personnage, mais un événement que le public n’avait pas anticipé ou qui contrecarre l’anticipation du public.
Encore une fois, c’est essentiel de s’en souvenir puisque c’est le public qui doit se ressentir l’émotion au final. Vous pouvez alors créer des twists qui révèlent des choses sur le personnage que le personnage lui-même connaissait déjà. C’est souvent le cas lorsqu’on veut montrer que le personnage est plus intelligent : on fait croire que le personnage agit selon un plan A pour finalement montrer qu’il agit selon le plan B, qu’il était le seul à connaître. Ici, le manque d’anticipation n’existe pas pour le personnage, il n’existe que pour le public, et pourtant, l’émotion est là.
En revanche, si à l’inverse, vous annoncez au public une information que le personnage ignore, le moment où le personnage apprend cette information à son tour – sauf si l’événement change d’autres choses – n’aura pas d’impact sur le public, qui aura pu anticiper l’événement longtemps à l’avance.
Et cela veut aussi dire que vous devez parvenir à tromper l’anticipation du public alors que celui-ci est a priori déjà rompu à la consommation d’histoires : quelque part, parce qu’il a déjà vu cent comédies romantiques différentes, il est capable de prédire les grandes lignes de votre histoire d’amour juste en lisant le pitch de celle-ci. Allons plus loin, si vous lui montrer une scène qui prépare un conflit émotionnel futur, il est souvent même capable de prédire que ce conflit va arriver à un moment ou à un autre du récit.
C’est alors à vous d’agencer les choses de manière à tromper ces habitudes que l’on a par rapport aux récits en général. Parfois en suivant les structures habituelles et d’autres fois, lorsque cela compte vraiment, en vous écartant complètement des sentiers battus.
Et de la même manière, il est aussi fort possible, pour tout un tas de raisons, que votre public anticipe bien davantage que vous-même ne l’estimez capable à la base, ce qui ne va pas forcément servir votre intérêt en tant qu’auteur. Encore une fois, si votre public peut prédire vos twists, ceux-ci seront anticipés et n’auront donc plus le moindre effet.
Comment vous assurer, dans ces conditions, qu’un twist soit effectivement surprenant ? Ce sera justement l’objet de mon prochain article.
Pour lors, retenez simplement ceci : un twist est un événement qui modifie la nature ou l’intensité d’un ou plusieurs conflits émotionnels.
C’est donc un événement qui doit s’inscrire dans la suite d’événements de votre histoire, à un moment précis de celle-ci.
On peut modifier l’intensité d’un conflit émotionnel en ajoutant ou en retirant un obstacle, de la valeur à un obstacle, des risques ou même des conflits émotionnels. On peut aussi le faire en montrant que l’objectif est finalement plus haut ou plus bas dans la hiérarchie des objectifs fondamentaux du personnage.
Pour modifier la nature du conflit émotionnel, on peut changer l’objectif fondamental, changer l’objectif concret, ou changer la hiérarchie des objectifs fondamentaux en elle-même.
Bien entendu, un seul twist peut faire plusieurs de ces changements à la fois, voire tous en même temps. Et plus de choses il changera, plus il aura d’impact émotionnel sur le public.
Mais ne l’oubliez jamais, un twist, pour fonctionner, ne doit pas être anticipé par le public. Qu’il soit anticipé ou non par le personnage n’a finalement que peu d’incidence sur l’émotion.